• des idées pour après... celles de Alain Damasio

    des idées pour après... celles de Alain Damasio

     

    • De quelques attitudes mentales propices

     

    Dans cette pandémie, il y a ce que le virus nous fait. Ce que les gouvernements font de ce virus.

    Et il y a ce que nous ferons de ce que nos gouvernements nous font.

    Si je devais suggérer une attitude mentale qui me semble féconde pour construire le pendant et l’après, je dirais ça (et merci à cet article si down-to-earth et si pertinent de Pouhiou que j’ai découvert sur le framablog et que je retrempe ici à ma sauce : «Il n'y a pas de solution, il n'y a que nous»

    • Si j’arrête de croire qu’une institution le fera pour moi, je peux agir sur le petit bout d’univers qui se trouve autour de moi ;
    • Si je trouve des gens avec qui je suis bien, on peut l’agrandir ensemble, progressivement, ce petit bout d’univers qu’on se sent capable de changer.
    • Si on écoute les vécus, apprend des expériences et reprend les pratiques de ceux qui font des choses qui marchent en dehors des institutions, ça va roxxer. Tout seul, on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.

    En vérité, la direction à prendre est une pente naturelle — mais qui s’aborde en montant. Tout sauf la plus facile, donc. C’est la pente que vous voyez à gauche, sur la colline, celle où il faut…

    …te sortir les doigts pour te battre, créer, monter des projets en dépit et même contre ceux qui décident dans un bureau depuis un siècle quels projets devraient être montés.

    …nous remonter les manches pour prendre en charge directement ce que personne d’autre ne fera mieux que nous parce que nous sommes là où ça se passe, où nous savons quoi et comment le faire. Pas eux, pas l’État, pas le conseiller, pas l’entreprise X.

    … nous prendre le chou à essayer de faire attention à tous les problèmes, à toutes les personnes, tout en sachant très bien qu’on n’y arrivera pas, jamais parfaitement.

    …comprendre que la pente zigzague, qu’il n’y a pas de raccourci miracle, pas d’appli qui sauve le monde et ton cul. Pas de solution magique donc, juste notre joie et notre fierté de faire le chemin ensemble, de l’inventer à mesure. Et donc de rater, tenter, rater encore, rater mieux !

    Comme le dit à sa façon Pouhiou,« c’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants. »

    Donc première attitude : ne plus croire que le gouvernement le fera pour nous. Yes, he can, quand il le veut vraiment. Oui on peut le contraindre, un peu, mais ça fait 40 ans qu’on jette des palettes sous les chenilles du bulldozer néolibéral sans le ralentir beaucoup, n’est-ce pas ?

    Ne rien attendre de lui. Qu’il ferme juste enfin sa grande gueule quand il dit qu’il n’y a pas d’argent magique, ce serait déjà énorme. De l’argent « magique », il y en a. Ça s’appelle prélever des impôts à ceux qui éjaculent du fric. Prenez juste 99 milliards à Bernard Arnault, première fortune mondiale, et laissez-lui en 1, en pourboire. Ça s’appelle parfois aussi la planche à billets. Ça s’appelle encore une relance keynésienne. Ça s’appelle payer des salariés du service public plutôt que donner des subventions aux sociétés cotées en bourse qui vont les transformer aussitôt en dividendes et enrichir encore plus les déjà-trop-riches.

    Et ça s’appelle aussi sortir de la marchandisation de tout. Rien ne les détruit plus que le gratuit ! Et qui l’a mieux exprimé qu’Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau et leurs amis en 2009 ?

    « Voici ce premier panier que nous apportons à toutes les tables de négociations et à leurs prolongements : que le principe de gratuité soit posé pour tout ce qui permet un dégagement des chaînes, une amplification de l’imaginaire, une stimulation des facultés cognitives, une mise en créativité de tous, un déboulé sans manmande l’esprit. Que ce principe balise les chemins vers le livre, les contes, le théâtre, la musique, la danse, les arts visuels, l’artisanat, la culture et l’agriculture... Qu’il soit inscrit au porche des maternelles, des écoles, des lycées et collèges, des universités et de tous les lieux de connaissance et de formation... Qu’il ouvre à des usages créateurs des technologies neuves et du cyberespace. Qu’il favorise tout ce qui permet d’entrer en Relation (rencontres, contacts, coopérations, interactions, errances qui orientent) avec les virtualités imprévisibles du Tout-Monde... C’est le gratuit en son principe qui permettra aux politiques sociales et culturelles publiques de déterminer l’ampleur des exceptions. C’est à partir de ce principe que nous devrons imaginer des échelles non marchandes allant du totalement gratuit à la participation réduite ou symbolique, du financement public au financement individuel et volontaire... C’est le gratuit en son principe qui devrait s’installer aux fondements de nos sociétés neuves et de nos solidarités imaginantes... ».

    • Ce qu’on mérite ?

    Je ne crois pas qu’on puisse « décider » à l’échelle d’une nation, d’une expérience commune aussi cruciale que la crise du coronavirus et ce qu’elle nous fait.

    Pourtant, est-ce que notre monde social et vivant ne mériterait pas ça ? Je veux dire : ne mériterait pas, disons, qu’on consacre deux mois de son existence à éprouver enfin ce que serait un monde de prospérité sobre ? Un monde de croissance ? Allez, osons nous réapproprier le mot, oui : de croissance de nos disponibilités, de notre attention aux autres, de croissance de nos bienveillances mutuelles. De croissance de nos lenteurs riches. De poussée du réensauvagement de nos espaces trop urbanisés.

    Un monde de technologies douces, réparables et recyclables, intelligemment contenues, de buen vivir où l’on mangerait mieux, local et savoureux, consommerait le strict nécessaire, éliminerait enfin les métiers parasites (pub, marketing, com, finance…) et les jobs de merde pointés par Graeber : courtier, larbin, lobbyiste, petits chefs, vigiles… Où l’on prendrait conscience aiguë que les biens nous ont « eus » quand ce sont les liens qui devraient nous guider. Les liens à nos proches, familles et amis, tout autant qu’à l’étranger qu’on découvre, au migrant qu’on accueille, qui sont juste comme nous, qui sont nous. Les liens à renouer avec le vivant, biotopes, animaux et végétaux, champignons et bactéries, et même ce lien… au virus !

    Aucune de ces formes n’est notre ennemi ni ne le sera jamais. Car ces bactéries nous constituent et nous soignent, forment notre microbiote ; ces virus nous mutent, et nous construisent en modifiant nos ADN. 700 000 types différents circulent en permanence dans nos corps. Les virus naissent, passent, disparaissent. Ils n’exigent aucune guerre, juste l’attention juste au juste moment — mais c’est déjà trop pour un capitalisme rivé à ses courses de bites et à ses cours de bourse.

    Dans cette crise, de très nombreuses actions locales, initiées par des personnels hospitaliers, des laboratoires vétérinaires, des petits industriels, des militants de toute sorte et de tout métier ont fleuri, avec intelligence, célérité et pertinence. Depuis des semaines, nous avons sous les yeux et à l'échelle d'un pays la preuve quotidienne qu'une organisation verticale centralisée est obsolète dans une société éduquée aux ramifications complexes. Bonne nouvelle pour nous tous — et péril fatal pour la petite caste prédatrice qui voudra maintenir, "à n'importe quel coût" son pouvoir, fut-il seulement celui de nous nuire.

     

    extrait d'un long article paru en trois parties sur le blog Médiapart de l'auteur

    merci à cg pour la piste

     

     


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